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La nouvelle Afrique centrale selon NGOMO Privat.
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18 octobre 2014

PLAIDOYER POUR L’ERECTION D’UN CANON SCIENTIFIQUE MVƏ̀T

CanonScientifiqueMvetOyengPourBlog

INTRODUCTION

Dans la démarche scientifique, des sciences dites dures, la problématique de l’objet revêt un caractère plus important et fondamental que celle du sujet. L’objectivité consistant à présenter et décrire l’objet du champ d’étude tant sur la forme que sur le fond en faisant abstraction de la personnalité ou de la sensibilité du sujet qui mène l’étude. Ainsi, sur la base de conventions entendues par tous, les travaux scientifiques sont réalisés en respectant toujours le référentiel normatif qui garantit ou assure la qualité des résultats obtenus. Toutes les sciences se construisent autour d’un canon bâti sur des principes ou postulats et des vérités basiques factuelles qui ne font l’objet d’aucune contestation fondamentale. Ce canon scientifique est le socle sur lequel se construira la discipline qui se donne pour mission d’investir un champ particulier d’étude. Si la mvə̀tologie est la science qui s’emploie à cerner et à comprendre la réalité du corpus civilisationnel du peuple Ékàŋ identifiée par le terme mvə̀t, elle doit disposer nécessairement d’un canon scientifique qui sera la référence pour tous les chercheurs ou auteurs enclins à mener des études sur cet objet à décrypter.

PREALABLES A L’ERECTION DU CANON SCIENTIFIQUE MVƏ̀T

Comme l’architecte qui conçoit et imagine les plans d’une bâtisse à réaliser, l’érection du canon scientifique mvə̀t qui garantira la vie de la science mvə̀tologique doit se faire après la réalisation de préalables qui nous paraissent nécessaires.

a)      Communauté scientifique pluridisciplinaire : des hommes de sciences (dures ou sociales) doivent constituer une communauté scientifique pluridisciplinaire qui prendrait en compte les compétences ou expertises indispensables à l’érection du canon scientifique mvə̀t. D’emblée, certains experts sont sollicités à l’instar (1) des traditionnalistes ou érudits Ékàŋ qui maîtrisent parfaitement leur langue natale et ont une connaissance approfondie des traditions de la civilisation Ékàŋ. On peut ajouter (2) les maîtres mvə̀t-òyə̀ŋ qui sont initiés pour délivrer des pans de connaissances du corpus civilisationnel Ékàŋ. Et naturellement, (3) les disciplines scientifiques pertinentes comme l’Égyptologie, l’Histoire, la Géographie, la Sociologie, l’Ethnologie, la Linguistique et la Littérature devront être impliquées pour apporter leur part de lumière quant aux aspects qualitatifs afférents à la question. Enfin,  (4) les sciences dures comme la Statistique, l’Informatique et la Physique se révèleront cruciales pour aborder les aspects quantitatifs  qui devront être traduits et interprétés pour une meilleure compréhension des phénomènes observés.

 

b)     Méthodologie consensuelle pluridisciplinaire : cette communauté composée devra s’accorder sur une méthodologie consensuelle pluridisciplinaire qui emprunterait ses vertus à celles des expertises en présence dans l’intérêt unique de mettre en œuvre un cadre scientifique multiparadigmatique d’échanges, de débats et de décisions. Ce cadre scientifique devra reposer sur un système de valeurs où (1) les jargons seront harmonisés quant aux formes définitionnelles, (2) les procédés verticaux ou transversaux interdisciplinaires seront clairement définis s’agissant (2a) des instruments d’observation, d’analyse et d’interprétation, et (2b) des méthodes d’expérimentation, de généralisation et de validation.

 

c)      Académie des langues Ékàŋ : parce que le champ d’étude porte sur mvə̀t et que les langues qui véhiculent ce immense patrimoine à appréhender sont celles du peuple Ékàŋ, il importe d’ériger une académie des langues Ékàŋ dont la mission essentielle consistera à formaliser les langues d’expression mvə̀t (alphabet, dictionnaire lexicographique, syntaxe et grammaire, sémantique) et à proposer une transcription ou écriture unique quelle que soit la phonétique des langues en présence (étón, búlù, nfàŋ, ókàk, ntúmù, mvὲñ, etc.). Ces conventions établies et acceptées par tous permettront la réalisation de travaux scientifiques dans une dynamique unitaire et consensuelle.

 

 FONDAMENTAUX DU CANON SCIENTIFIQUE MVƏ̀T

Ces préalables posés par la communauté scientifique pluridisciplinaire et acceptés par tous ouvriront une nouvelle ère dans la connaissance approfondie de mvə̀t. En effet, depuis le début des années 1960, certains auteurs férus de culture Ékàŋ, particulièrement de mvə̀t-òyə̀ŋ, entreprirent de transcrire en langue (selon leur propres conventions) des pans de récits mvə̀t-òyə̀ŋ. D’autres décidèrent de traduire en langue occidentale (allemand, espagnol, français, anglais) mìnlàŋ mì mvə̀t-òyə̀ŋ. Enfin, quelques uns entreprirent de rédiger des essais herméneutiques ou exégétiques. En l’absence de canon scientifique référentiel, et devant le besoin de réaliser des œuvres importantes pour la postérité, tous ces auteurs durent faire des choix arbitraires qui n’engageaient qu’eux-mêmes et prendre des décisions qui aujourd’hui sont considérées comme vérité établie.  Pourtant, parce que l’œuvre de mémoire n’était qu’à son aube, il est aisé de comprendre que des erreurs d’appréciation ou des fautes d’initiation jalonnent forcément les premiers travaux. Et que, malgré le grand respect que nous portons à ces pionniers de la préservation du patrimoine mvə̀t-òyə̀ŋ, il faut bien entreprendre un travail d’épistémologie pour parfaire l’œuvre entamée tout en la poursuivant.

Quelques questions formelles nous interpellent déjà.

Pourquoi dire « le » mvet, plutôt que « la » mvet ? Si la langue Ékàŋ de départ ne connaît point d’article, mais que la langue d’arrivée en exige, quelle règle grammaticale concourt objectivement, rationnellement et linguistiquement à justifier l’article masculin « le » plutôt que le féminin « la » pour désigner le genre de mvə̀t ?   Pourquoi écrire « mvett » ? Qu’est-ce qui justifie le deuxième « t » ? Il arrive que l’on écrive « mver » ou « mved » et parfois « nvet, nver ou nved ». Devrions-nous alors dans la même foulée orthographique écrire « nvett, nverr ou nvedd » ? Certains ne seraient-ils pas tentés, avec l’hyperbolisation excessive qui caractérise mvə̀t, d’écrire « mve(t)n, mve(r)n et mve(d)n ou nve(t)n, nve(r)n et nve(d)n» ?

On le voit clairement, les choix initiaux dans l’œuvre naissante de préserver notre patrimoine oral sont frappés du sceau de l’arbitraire, de la subjectivité. Mettre désormais l’objectivité au centre des recherches et de la compréhension de mvə̀t-òyə̀ŋ permettra de remettre d’équerre cette discipline qu’est la mvə̀tologie. Mais cela suppose qu’il ne faut pas reculer devant des remises en causes fondamentales même quand elles atteignent des monuments de la culture mvə̀t-òyə̀ŋ qui sont les précurseurs de cette démarche qu’il faut absolument améliorer. L’érection d’une académique des langues Ékàŋ apportera une solution définitive à ces erreurs de balbutiement.

Quelques observations fondamentales nous viennent à l’esprit à présent.

Peut-on rationnellement et scientifiquement faire l’exégèse ou l’herméneutique de la bible, dont le canon est constitué de 66 livres, si l’on n’a lu qu’une partie de ses textes anciens ? Il faut répondre objectivement par la négative car toute œuvre d’interprétation ou de critique sur une œuvre approchée superficiellement livrera au public, au moins une vérité partielle, sinon une contre-vérité. Or, délaissant le travail fastidieux et ingrat de la transcription des récits mvə̀t-òyə̀ŋ, nombre d’auteurs se sont engouffrés dans la rédaction d’œuvre présentant « leur » vérité subjective, personnelle, et donc contestable. Cependant, ce qui est attendu, c’est bien une manifestation de la vérité mvə̀t-òyə̀ŋ, vérité devant être acceptée par tous pour l’édification des générations futures. Pour exemple, la tridimensionnalité fait florès dans bien de littératures où l’on enseigne que mvə̀t est le verbe, la parole ou le récit, mais aussi l’homme qui joue et conte, et enfin mvə̀t est l’instrument à cordes. Est-ce bien vrai ? Répéter cela à foison dans toutes les conférences sur mvə̀t-òyə̀ŋ, cela donne t-il à cette définition un caractère de véracité absolue ?  Et dans cette logique définitionnelle, qu’en est-il de l’auditoire de l’àbáá et de la circonstance Mə̀sóŋ qui justifient la prestation sociale du barbe mvə̀t-òyə̀ŋ ? Sont-ils passés en perte et profit ? Pourtant, qui s’intéresse à mvə̀t-òyə̀ŋ sait parfaitement le rôle déterminant que le public joue lors de la prestation du maître qui ne peut se faire sans cette assistance, mais également l’importance circonstancielle du temps rituel dans lequel le conteur venait instruire le peuple Ékàŋ sur la mort et l’immortalité.

Apporter une définition objective, et donc difficilement contestable par une tierce partie, c’est s’appuyer d’abord sur l’expertise des linguistes qui, maîtrisant les langues Ékàŋ mais aussi l’origine étymologique des mots de ces langues, sauront apporter les sémantiques qui feront l’unanimité.

Mvə̀t dérive t-il du verbe àbə̀t ou plutôt du verbe àvə̀t ? Les linguistes pourront trancher définitivement cette équivoque. Mvə̀t est-il confondu à Mvə̀t-òyə̀ŋ, ou Mvə̀t-òyə̀ŋ est-il une partie considérable du tout Mvə̀t ? Les érudits Ékàŋ, les maîtres conteurs et les linguistes sauront nous éclairer. Au sens de la simple désignation des mots, le récit n’est-il pas Nlàŋ mvə̀t-òyə̀ŋ et non mvə̀t? Le conteur n’est-il pas Mbóm-mvə̀t, ou Ndzó-mvə̀t/Nkùr-òyə̀ŋ quand il est découplé, plutôt que mvə̀t ? L’instrument n’est-il pas òyə̀ŋ, Nə̀ŋ ou àngònmànà au lieu de mvə̀t ?

Il apparaît évident que la définition linguistique, et donc scientifique car objectivement tournée vers l’étymologie et la sémantique, semble plus crédible que la définition littéraire, philosophique ou d’interprétation subjective qui met l’accent sur le sensationnel intellectuel de la tridimensionnalité.  Tous ces aspects, dont quelques points ont été suggérés dans nos observations doivent faire l’objet de discussions scientifiques dégagées de toutes considérations personnelles ou de chapelle.

Les travaux sérieux et importants suivants doivent être impérativement réalisés pour constituer la substance fondamentale de l’objet mvə̀t-òyə̀ŋ. En effet, c’est quand l’objet d’étude, en l’occurrence mvə̀t-òyə̀ŋ, sera cerné dans ses contours formels et fondamentaux et de manière holiste que l’on disposera de la première composante du canon scientifique mvə̀t-òyə̀ŋ : la substance culturelle totalisante. La seconde composante étant les vérités délivrées par cette substance et entendues ainsi par toutes les parties.

La substance culturelle totalisante. C’est le corpus entier et holiste de tous les récits de mvə̀t-òyə̀ŋ depuis Òyònò Àdà Ngwàn jusqu’aux maîtres mvə̀t encore vivants.

 

a)      Travaux de recensement exhaustif de tous les maîtres mvə̀t-òyə̀ŋ

Si comme le laisse entendre la chaîne d’initiation de mvə̀t-òyə̀ŋ du grand maître Zwè ŋyèmá d’àngìà, Òyònò Àdà Ngwàn serait un homme de la fin du 16ème siècle – début du 17ème siècle, et alors, le recensement de tous les maîtres conteurs ayant existé ou existant encore portera sur une période de 5 siècles. Pour chaque maître mvə̀t-òyə̀ŋ, les informations suivantes sont attendues :

  1. 1.      Identité (noms) ;
  2. 2.      Àyɔŋ du père (mwán dzáng) ;
  3. 3.      Àyɔŋ de la mère (mwán ngwàn) ;
  4. 4.      Village et pays du conteur ;
  5. 5.      Village et pays de la mère du conteur ;
  6. 6.      Chaîne d’initiation du maître (liste successive des maîtres initiateurs).
  7. 7.      Époque ou siècle du maître.

 

b)     Travaux de recensement de tous les récits des maîtres conteurs

Pour chaque conteur identifié dans l’espace et le temps, il conviendra de distinguer tous les récits dont il est à l’origine. Pour chaque récit du maître seul le titre est attendu.

c)      Travaux de sauvegarde et de compilation de tous les récits enregistrés

Après les travaux laborieux de recensement exhaustif des maîtres de mvə̀t-òyə̀ŋ et leurs récits, il conviendra de lancer une levée de fond documentaire. Il sera demandé de constituer une base documentaire de tous les récits de mvə̀t-òyə̀ŋ enregistrés depuis le début des années d’indépendance ou même pendant la colonisation. Tous les supports magnétiques ou numériques d’enregistrement feront l’objet de copie numérique. A la fin de cette opération qui sollicitera également les musées européens et américains qui détiennent une bonne part de ce patrimoine oral, l’on disposera de tout le corpus numérique mvə̀t-òyə̀ŋ car tous les récits seront digitalisés et sauvegardés dans un unique endroit.

 

 

d)     Travaux de transcription de tous les récits sauvegardés et compilés

Le corpus numérique et totalisant mvə̀t-òyə̀ŋ étant désormais disponible, le travail de transcription intégrale de chaque récit mvə̀t-òyə̀ŋ est attendu. Grâce à l’académie des langues Ékàŋ, une seule transcription restera valable quelles soient les langues en présence, de sorte que tous les locuteurs et scripteurs Ékàŋ accèdent de manière univoque à l’information transcrite.

e)     Travaux de traduction des récits transcrits

Les récits mvə̀t-òyə̀ŋ étant tous transcrits, leur traduction va naturellement de soi car il faut élargir le champ d’étude et de recherche à des espaces plus grands, à des communautés diversifiées. Chaque récit mvə̀t-òyə̀ŋ pourra être traduit en langue africaine (walaf, swahili, etc.), européenne (allemand, anglais, espagnol, français, etc.), asiatique (japonais, mandarin, arabe, etc.). A la fin de cette opération, tout le corpus mvə̀t-òyə̀ŋ sera traduit dans les langues du monde et accessible à toute personne qui s’intéresse à la culture Ékàŋ.

f)       Travaux de mise en œuvre d’une base de données des récits et des auteurs

Tous les récits enregistrés et digitalisés, transcrits et traduits constitueront une base de données  qui fera également apparaître tous les maîtres conteurs à l’origine de tous ces récits. Par un simple clic de souris on pourra être édifié sur la biographie d’un conteur de mvə̀t-òyə̀ŋ, sur ses récits et on pourra écouter la bande son ou la vidéo du récit.  Pour chacun de ces récits, la base fournira la transcription en langue Ékàŋ et les traductions dans les différentes langues du monde. Avec cette base de données exhaustive on disposera de toute la substance culturelle et totalisante de mvə̀t-òyə̀ŋ. On aura ainsi mis en place une première composante du canon scientifique mvə̀t-òyə̀ŋ.

 

g)      Travaux scientifiques et universitaires sur le corpus mvə̀t-òyə̀ŋ numérisé

La matière substantifique étant à présent à la portée de toute personne intéressée, les travaux scientifiques à caractère universitaire pourront être réalisés dans le seul cadre référentiel et fondamental de la première composante du canon scientifique. De quel siècle est Òyònò Àdà Ngwàn? Est-il bien du 17ème siècle comme l’affirme cette publication ? Les guerriers d’Èngòŋ qui font l’objet d’une description immuable à l’inverse des personnages d’Òküñ ont-ils réellement existé ? Leurs noms ont-ils été immortalisés à cause de leurs faits d’armes pendant la migration ou sont-ils l’incarnation mythologique des valeurs ou principes Ékàŋ ? Òküñ est-elle la région soudano-nilotique d’Egypte d’où le peuple Ékàŋ historique a fui, et Èngòŋ, sa zone actuelle d’habitation dans le Golfe de Guinée, en Afrique centrale ? D’autres problématiques, où mythe et réalité sont enchevêtrés, devront faire l’objet de thèses universitaires afin d’éclairer les générations sur les secrets que le corpus numérique et accessible à tous livrera. Les vérités mises en exergue grâce à ces travaux académiques viendront constituer le deuxième composant du canon scientifique : le socle de vérité qui assoira les fondements de la mvə̀tologie. 

h)     Travaux d’exégèse et d’herméneutique sur la base du corpus numérisé et des résultats des travaux scientifiques

Le corpus mvə̀t-òyə̀ŋ étant unitaire, complet et exhaustif, et le cadre référentiel scientifique garantissant la qualité des travaux étant existant, toutes les œuvres littéraires d’interprétation herméneutique ou de critique exégétique pourront avoir cours. L’objet d’étude n’étant plus partiel, il sera plus crédible d’en faire une interprétation plus globale, holiste, qui doit formuler une vérité crédible et difficilement contestable. Dès ce moment, la subjectivité des auteurs pourra à nouveau s’exprimer tout en respectant les balises fournies par l’objectivité du canon scientifique mvə̀t-òyə̀ŋ.

 

CONCLUSION

La mise en place de ce travail ambitieux et laborieux suppose l’existence préalable (1) d’un institut régional Ékàŋ de recherche animée par une communauté scientifique pluridisciplinaire, (2) une académie des langues Ékàŋ et le soutien politique et financier des personnes intéressées, des institutions nationales et régionales de l’Afrique centrale.

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