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La nouvelle Afrique centrale selon NGOMO Privat.
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11 mai 2021

DES SOMMETS AFRIQUE-EUROPE POUR REMPLACER LES SOMMETS FRANCE-AFRIQUE

INTRODUCTION

Le prochain sommet France-Afrique renommé judicieusement Afrique-France se tiendra les 8, 9 et 10 juillet 2021 dans la ville de Montpellier, dont le maire est Michael Delafosse. Ce sera le 28ème de la série des sommets franco-africains initiée le 13 novembre 1973 à l’Elysée, et le premier auquel le président actuel de la République française, Emmanuel Macron, participera. Près de 48 ans de rencontre entre le maître de l’Elysée et ses obligés africains doit interpeller tout esprit rationnel qui est en droit de s’interroger sur la pertinence de ces sommets réguliers des membres de la Communauté française.

 

SommetAfriqueFrance

 

Le terme de "Communauté française" est ici choisi à dessein car, même si son usage politique est complétement tombé en désuétude, il n’en reste pas moins que l’esprit qu’il a porté à son avènement, en septembre 1958, demeure toujours jusqu’aujourd’hui. Cet esprit fantomatique plane à chaque rencontre et dicte le rituel conçu et initié par la France : afficher la suprématie de l’Etat français sur ses anciennes colonies d’Afrique.

L’empire colonial, devenu l’Union française en octobre 1946 après la seconde guerre mondiale, pour se convertir en Communauté française sous l’égide de Charles De Gaulle qui décida de « transformer habilement la colonisation en coopération » reste en vérité l’unique paradigme dans lequel l’élite dirigeante française entend faire évoluer, pour ne pas dire conserver, les relations France-Afrique.

Mais au fil du temps, les échecs répétitifs de développement dans tout l’espace africain francophone ont causé frustration et déception des populations de ce landernau sous continental. Comment comprendre le retard des territoires africains extrêmement riches en ressources naturelles alors que ces derniers ont une coopération politique et économique, magnifiée par les différents sommets France-Afrique, avec la 5ème ou 6ème puissance économique du monde ? 

Mais depuis, la déception et la frustration des peuples d’Afrique francophone ont cédé la place à la réflexion, à l’analyse et  à l’énoncé d’autres paradigmes alternatifs où l’Afrique « française » devrait pouvoir amorcer réellement le « take-off » de son développement attendu depuis plus d’un demi-siècle. Au moment où se tiendra le prochain sommet, qu’Emmanuel Macron a rebaptisé Afrique-France, les cénacles de réflexion africains ont déjà conçu et élaboré plusieurs perspectives de développement qui s’inscrivent tous à rebours de la trame fondamentale portée par les sommets franco-africains traditionnels.

La nouvelle dénomination macronienne ne saurait cacher la même habileté qui consiste à changer la forme, les apparences d’un concept, tout en préservant immuablement le fonds. Cette astuce plusieurs fois usitée risque de ne plus marcher cette fois car la prise de conscience de la jeunesse africaine est désormais effective. Outre la jeunesse d’Afrique, divers cercles sociopolitiques et progressistes d’Afrique, de France et même d’Europe pointent d’un doigt accusateur l’inique politique française en  Afrique et appellent à une redéfinition de celle-ci dans un partage équitable gagnant-gagnant.

La question lancinante de l’immigration clandestine dont la cause profonde, en Afrique, est la pauvreté et la misère entretenues par la politique françafricaine, et dont la conséquence inquiétante sur la terre d’Europe est la montée des partis nationalistes d’extrême-droite, mérite d’être traitée hors des canevas inefficaces actuels. Il est dorénavant impossible de ne pas établir un lien logique et cohérent entre d’une part, la situation de paupérisation des masses africaines de l’espace subsaharien et d’autre part, l’inquiétude grandissante des populations européennes face à la menace du « grand remplacement » dont les imposants flux migratoires venus d’Afrique seraient le vecteur reconnu.

Au milieu de ces deux tristes réalités, se tient la politique françafricaine. Le temps est donc venu qu’un véritable débat Nord-Sud s’installe en abordant sans complexe et tabou toutes les questions susceptibles de conduire les intéressés vers les voies multiples et diversifiées de solutions âprement attendues. 

Ce sommet Afrique-France, où le jeune président français a souhaité remplacer la coterie traditionnelle des chefs d’Etat africains par l’intelligentsia des sociétés civiles d’Afrique offre le cadre idoine pour initier cette nouvelle donne.  

 

ENJEUX DES SOMMETS FRANCE-AFRIQUE

Comme pour les accords secrets de coopération qu’elle conçut et élabora toute seule, avant de les faire signer d’autorité à tous les dirigeants africains à sa solde, et qui, dès lors étaient autorisés à proclamer les pseudo-indépendances au cours de l’année 1960, la France  initia les sommets France-Afrique pour marquer son hégémonie sur ses anciens territoires d’Afrique. Les chefs d’Etat africains étaient tenus de participer à cette foire de démonstration de la puissance française. C’était l’occasion officielle pour le maître de Paris de distribuer les bons points aux élèves studieux ou de remonter les bretelles à quelques récalcitrants.

Le président du Burkina Faso, Thomas Sankara, qui eut la lucidité de remettre en cause ces retrouvailles aux accents néocolonialistes, perdit tragiquement la vie. Pour la France, ces rencontres au sommet lui permettent de réaffirmer sa toute puissance et de voir se renouveler les serments d’allégeance des présidents africains qui doivent perpétuer les termes des accords secrets de coopération. Il y est exclusivement question des intérêts cruciaux de la France et de ceux des clans qu’elle maintient au pouvoir. Les peuples d’Afrique, leurs aspirations, leurs rêves de bonheur et de développement sont purement et simplement ignorés.

Ainsi, après 61 ans de coopération, il est loisible de constater l’efficacité frappante de ces rencontres françafricaines : la France a prospéré grâce à l’exploitation des ressources naturelles africaines, elle est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU comme puissance mondiale car elle est le « penholder » de près de 15 nations africaines francophones, quant aux familles et clans des potentats aux affaires, ils se sont énormément enrichis tout en se maintenant longuement au pouvoir grâce à la bénédiction française.

Les peuples d’Afrique, eux, vivent dans une paupérisation, un appauvrissement savamment entretenu, une misère et une pauvreté qui incitent la jeunesse à l’exode, à l’immigration vers « l’eldorado » européen notamment français. Quant à l’Afrique francophone, malgré toutes ses richesses minières, forestières et halieutiques, elle reste sous-industrialisée, sans véritable infrastructures routières, ferroviaires, maritimes et énergétiques.

Cette tendancieuse et  abjecte politique françafricaine montre aujourd’hui ses limites après avoir prospéré pendant plus d’une décennie sur le sang des nationalistes indépendantistes africains assassinés, sur la sueur des masses populaires perpétuellement exploitées et sur le rêve brisé de développement et de bonheur de nombreuses générations africaines. Qu’il soit appelé sommet France-Afrique ou Afrique-France, les Africains conscients et agissants n’en veulent plus, si le même esprit prédateur et colonialiste anime ce genre de rencontres.

Pour le développement de l’Afrique francophone, qui passe nécessairement par le renversement de l’ordre ancien, il est impérieux d’instituer une nouvelle donne entre l’Afrique et l’Europe. En effet, le couple France-Afrique est éculé, passéiste et porte des relents impérialistes qui ne sont plus acceptables au 21ème siècle. Un rééquilibrage juste, moderne et géopolitique s’impose à tous les esprits convaincus de l’émergence d’un nouveau paradigme plus en phase avec les enjeux de la planète. L’Europe, sous-continent asiatique, doit à présent devenir l’interlocuteur privilégié de l’Afrique afin de sortir du carcan néocolonialiste français.

Si la France souhaite maintenir ses sommets, alors ceux-ci devraient se faire de pays à pays : France-Gabon, France-Madagascar, France-Rwanda, etc…   Ce format plus respectueux des entités géopolitiques honore les souverainetés respectives des Etats en présence. Un Etat pour Etat, un sous-continent pour un sous-continent, et enfin un continent pour un continent. En clair, le sommet Afrique-France de Montpellier, doit être le dernier rejeton de la série des sommets France-Afrique. Les prochaines rencontres quelles que soient les formats arrêtés devront se faire désormais en respectant les tailles et les souverainetés des entités géopolitiques.

Rompre avec la politique françafricaine improductive c’est aussi abolir la tradition néocolonialiste des sommets Afrique-France ou France-Afrique comme l’avait préconisé, trente ans plus tôt, le capitaine Thomas Sankara. Si l’intelligentsia africaine souhaite participer à cette 48ème édition, elle devrait insister sur le bilan de soixante ans de coopération et dégager des perspectives heureuses qui ne peuvent s’inscrire que dans une nouvelle dimension conçue et élaborée par toutes les parties. Le nouveau deal ne pourra pas faire l’économie de ce travail analytique indispensable à la redéfinition d’une relation Europe-Afrique à recréer.

 

PERSPECTIVES DES SOMMETS EUROPE-AFRIQUE

Les accords secrets de coopération, les sommets France-Afrique, l’existence affichée d’une puissance française mondiale et le sous-développement chronique de l’Afrique francophone sont un ensemble cohérent et un héritage produit par une pensée raciste, esclavagiste, colonialiste et impérialiste née au 15ème siècle.

La France, avant l’esclavage transatlantique et la traite des Noirs, était une nation dont la puissance politique, économique et militaire ne rivalisait pas avec celles de l’Espagne et du Portugal qui s’étaient partagé le monde lors du traité de Tordesillas, le 7 juin 1494. Depuis, la patrie de Louis XI a rattrapé son retard grâce à la politique de conquête de terres lointaines et de prédation des richesses (humaines et matérielles) des territoires occupés.

Elle a su se hisser au rang de puissance mondiale non à cause du travail digne et acharné des citoyens français, mais grâce à l’exploitation multi centenaire et très lucrative des Nègres d’Afrique, puis des ressources naturelles des terres d’Afrique occupées pendant la colonisation quand la traite des Noirs fut abolie et aujourd’hui, à travers l’application stricte des accords secrets de coopération qui lui donne toute la latitude, de manière officielle, de poursuivre la néo-colonisation.

Environ 527 ans nous séparent de la date de signature du traité de Tordesillas, quant à l’Espagne et le Portugal, qui ne vivent plus que du dur labeur de leurs populations, ils ne sont plus actuellement les grandes puissances impérialistes qu’elles étaient au 15ème siècle, et n’ont aucun siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. La perte de leurs colonies ou territoires occupés dans le monde entier a fortement affaibli leur puissance politique et économique par l’impossibilité d’accéder gratuitement ou à vil prix aux immenses richesses de leurs anciennes possessions.

La France craint ce syndrome que nous nommons « Espagne-Portugal » où, dépourvue des Département Outre-Mer (DOM), des Territoires d’Outre-Mer (TOM) et des territoires africains sous tutelle, elle soit réduite à sa simple expression hexagonale et dégringole vertigineusement de son rang de grande puissance mondiale à celui de simple nation européenne, comme l’Espagne et le Portugal, actuellement.

Les sommets Europe-Afrique que nous appelons de tous nos vœux et qui consacreront un nouveau paradigme dans la nouvelle relation euro-africaine à bâtir ne sont possibles que si la France redevient une simple nation européenne et s’engage résolument dans la construction politique d’une Europe fédérale comme le suggère l’Allemagne depuis la fin des années 1990.

Selon Isabelle Bourgeois et René Lasserre[1] « Pour préserver la diversité culturelle des Etats membres, source d’émulation dans un mouvement permanent de commerce et d’échange d’idées nourrissant le dynamisme économique et démocratique de l’Union européenne, l’Allemagne ne peut envisager d’autre organisation que fédérale. La vision d’une Europe fédérale telle que la partagent, toutes obédiences confondues, les forces politiques et l’opinion allemandes, repose sur l’expérience que seul le fédéralisme, sous la forme d’une fédération d’Etats, permet de concilier l’intérêt national particulier et l’intérêt général de la communauté. Dans cette approche de la construction des équilibres, l’épanouissement des intérêts de chacun des Etats membres de l’Union, dès lors qu’il est garanti, bénéficie aux performances globales de la communauté. L’Europe n’existe pas en dehors de ses Etats membres et, à l’intérieur de ceux-ci, sans acteurs dotés de leur autonomie, agissant en souveraineté sur leur territoire. »

Une Europe fédérale selon l’acception germanique devrait obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU au titre de puissance mondiale européenne. La France œuvrant au sein de l’Union européenne pour la construction d’une Europe fédérale devra (1) renoncer à son empire néo-colonial et redevenir une simple nation européenne, (2) perdre son statut de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies au bénéfice de l’Europe fédérale et (3) reconnaître le leadership politique, économique et financier de l’Allemagne dans l’Europe fédérale.  

Disons le simplement, la construction de l’Europe fédérale est l’un des importants chantiers politiques futuristes du 3ème millénaire pour les Européens. La France finira-t-elle par souscrire à un projet d’essence germanique  en acceptant de perdre son statut de grande puissance et en concédant à son éternelle rivale allemande le leadership au sein de l’Europe fédérale ? That is the question ! La France, dont l’orgueil de la nation n’a d’égal que son chauvinisme provincial, acceptera-t-elle de mourir à son égo pour que l’Europe fédérale vive ? Telle est la seconde question ! Enfin, la France voudra-t-elle continuellement vivre dans son « prestigieux » passé parsemé de conquête et de domination ou va-t-elle, au contraire, se tourner vers un avenir européen radieux aux côtés de l’Allemagne, du Portugal, de l’Espagne et des autres simples nations européennes ? C’est la troisième et dernière question !

Une certaine élite dirigeante française actuelle, nourrie à la pensée de Gobineau, de Colbert, de Ferry et de De gaulle ne peut se résoudre à faire perdre à la France son statut de grande puissance mondiale au profit d’une Europe fédérale. Elle militera toujours pour la préservation de l’empire néocolonial français en s’évertuant à toujours varier les formes sans changer le fonds. Elle sera une adversaire idéologique résolue de l’Europe fédérale, revendiquant une Europe des nations, aux contours institutionnels indéfinis, et se contentant de faire exister une Union européenne à minima.

Avec cette élite française aux affaires, il est impossible d’envisager une perspective de sommet Europe—Afrique ou Afrique-Europe. Toutefois, il est possible de croire qu’il existe une autre élite française plus ouverte sur le monde, plus moderne dans sa pensée pour envisager la déconstruction de l’ancien ordre symbolisé par les sommets France-Afrique et la construction d’un ordre nouveau qui sera matérialisé par les sommets Europe-Afrique.

La déconstruction de l’ancien ordre suppose la reconnaissance morale des crimes contre l’humanité que furent l’esclavage, la traite de Noirs, la colonisation et la néo colonisation. Ce mea-culpa sera le socle moral indispensable sur lequel pourra être construit l’ordre nouveau. La question des réparations, tout aussi indispensable, sera la première strate de reconstruction de la nouvelle relation euro-africaine.

Ayant fait table rase d’un passé douloureux dans la dignité et la fraternité, il sera alors possible d’envisager les prochaines strates de reconstruction sur les plans spirituel, culturel, économique, financier, scientifique, technologique et politique. Et là, nous évoluerons dans la construction de l’ordre nouveau où chaque membre de la fraternité humaine apportera sa pierre à l’édifice en respectant la dignité de la personne et la souveraineté des Etats ou des ensembles étatiques géopolitiques.

 

CONCLUSION

Il est, en effet, illusoire, de penser ou de croire que la construction de l’ordre nouveau se fera sans que justice ne soit rendue au monde noir. Le mea-culpa, les réparations morales et financières sont des préalables incontournables à la production commune d’une nouvelle vision du monde, réellement humaniste et fraternelle. L’élite dirigeante allemande sous la férule de Willy Brandt, qui fut pourtant un adversaire irréductible du nazisme hitlérien, a montré l’exemple sur le cas dramatique de la Shoah.

Sauf à démontrer que toutes les vies humaines ne se valent pas, il est attendu de la part de ceux qui furent génocidaires ou acteurs de crimes contre l’humanité de faire amende honorable en reconnaissant le tort infligé injustement à la victime, en demandant sincèrement pardon et en apportant les réparations conséquentes qui feront l’objet d’études très sérieuses en vue de leur quantification.

Cette démarche de vérité et de justice peut sembler utopique si l’on considère que les puissants n’acceptent ces actes de contrition et de repentance que lorsqu’ils sont défaits. Et ce fut le cas de l’Allemagne. Mais la France ne peut imaginer qu’elle sera éternellement puissante pour dominer ad vitam aeternam sur son pré-carré africain. Viendra bien le temps de la chute qui l’exposera au syndrome « Espagne-Portugal » qu’elle redoute tant. Alors défaite et déchue, la patrie de Charles Maurras appréciera dans une plus grande amertume l’acte de repentance et de contrition.

Les mondes africain et européen ont désormais les yeux rivés sur la France. Quels choix fera-t-elle pour les prochaines générations ? Souhaite-t-elle aveuglement revivre son passé « glorieux » au 3ème millénaire ou va-t-elle vaincre ses vieux démons en étant fidèle à l’esprit des lumières qu’elle a su faire briller en 1789 ?

 

 

Fait à Paris, le 11 mai 2021

Par Privat Ngomo

 


-       Isabelle Bourgeois est chargée de recherche au Centre d'information et de recherche sur l'Allemagne contemporaine (Cirac) et rédactrice en chef de Regards sur l'économie allemande

-       René Lasserre est professeur des universités, président de l’université de Cergy-Pontoise, et directeur du Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine

In constructif.fr, L’Europe à vingt-cinq, sommaire N°5, Juin 2003 (lien : http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-6/la-vision-allemande-des-valeurs-europeennes.html?item_id=2494)

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